[Les Jeudis de l’Archi] Nicolas Laisné
Projets Woodeum : Acteurs & ArchitectesPour cette nouvelle édition des Jeudis de l’Archi, nous avons souhaité interviewer Nicolas Laisné, brillant architecte avec lequel Woodeum a eu le plaisir de collaborer à maintes reprises pour la réalisation de résidences en bois massif bas carbone. Dans cet échange, que vous pourrez également retrouver en version vidéo et en podcast, Nicolas Laisné revient sur son parcours, sur son partenariat avec Woodeum, sur les spécificités de la construction en bois et sur sa vision de l’architecture d’aujourd’hui et de demain.
Vous pouvez également retrouver l’intégralité de l’interview en podcast :
Depuis vos premiers pas en tant qu’architecte, l’immobilier a-t-il évolué ? Quel regard posez-vous sur ces changements ?
Oui, c’est vrai que l’immobilier change beaucoup. J’aime bien dire que les architectes sont là pour dessiner des bâtiments qui accompagnent au mieux les changements sociétaux. Et, aujourd’hui, on ne manque pas de changements tant sur le plan économique que sur le plan de l’habitation. Cela pose beaucoup de questions dans le rapport aux bâtiments et à la façon de les concevoir. Les choses changent donc très vite et force est de le constater depuis mes débuts, il y a une quinzaine d’années.
Aujourd’hui, qu’est ce qui a changé dans la manière d’aborder de nouveaux projets en termes humains ?
Aujourd’hui, ce qui a beaucoup changé dans la manière de concevoir les bâtiments, c’est la présence et la participation de différents acteurs : le maître d’ouvrage évidemment, l’architecte, les futurs utilisateurs, les ingénieurs etc. Autant de personnes qui vont nous aider à mieux comprendre la façon dont vont être abordés le bâtiment et son environnement. De ce fait, la première chose avant de répondre à une question donnée – parce que chaque bâtiment est une question – est de monter une bonne équipe, une équipe qui soit cohérente. Il s’agit là du premier geste architectural. C’est un travail collaboratif entre maîtrise d’ouvrage, le client donc, et l’architecte. Et je dois dire que c’est pour cela que j’apprécie beaucoup de travailler avec Woodeum. Nous avons une très bonne synergie ; on partage les mêmes points de vue sur la façon de travailler, et c’est un aspect très important.
Racontez-nous votre première rencontre avec Woodeum…
J’ai rencontré Guillaume Poitrinal au tout début de Woodeum. Woodeum était à l’époque une toute petite start-up. J’étais impressionné par le parcours de Guillaume et intéressé par cette envie de construire en bois massif & bas carbone. A l’époque, nous venions de réaliser à Nice, avec Dimitri Roussel qui était mon associé, un bâtiment de bureaux très adapté aux enjeux climatiques. Nous sommes donc allés voir Guillaume pour lui présenter notre projet. L’architecture lui avait plu et il voulait savoir si on pouvait faire cette architecture en bois avec beaucoup de balcons, beaucoup de circulations extérieures. Nous avons répondu par la positive et c’est comme ça que les choses ont commencé.
Il s’agissait de votre 1er projet en structure bois CLT ou aviez-vous déjà eu l’opportunité d’en construire ?
Le 1er bâtiment que j’ai fait dans ma vie était un bâtiment en bois : c’était une grande maison nichée au milieu d’une forêt. C’est quelque chose pour lequel j’ai beaucoup d’appétence. J’avais déjà d’autres projets en bois dans mes demandes, dont un bâtiment de bureaux à Bordeaux. Mais, il est vrai que ce qui m’intéresse particulièrement avec Woodeum, c’est l’ambition première de faire baisser le bilan carbone et d’utiliser le bois. Il n’y a pas de concessions possibles en cours de projet. Cela donne une discipline de projet pour arriver à relever les challenges et à avancer. C’est très intéressant de travailler avec un nouveau promoteur innovant qui a cette exigence de départ. C’est, par ailleurs, une demande qui se développe beaucoup.
Le partenariat avec Woodeum n’est-il pas un peu particulier en ce sens où notre expertise est dans l’ingénierie et dans la structure de bâtiments en bois massif CLT ?
Tout à fait, c’est vrai que le CLT est une originalité de Woodeum. Et il est très intéressant d’avoir un maître d’ouvrage expert sur une technique et qui ne se substitue pas pour autant au bureau d’études. Maîtriser sa technique, être en connaissance de ce qu’on fabrique mais en même temps s’entourer de l’expertise d’autres bureaux d’études pour travailler sur chaque projet. C’est en cela que j’apprécie le travail avec une société comme Woodeum. C’est cette grande technicité, ce savoir-faire sur le CLT qui est un matériau de grande qualité. Cela donne une exigence qui correspond bien à ce que je veux faire.
Face à un partenaire à la technicité pointue tel que Woodeum, ne vous sentez vous pas brider dans votre liberté architecturale ?
Non, au contraire. Ce qui permet à la liberté architecturale de s’exprimer, c’est d’avoir des interlocuteurs d’un très bon niveau, qui répondent à nos demandes de façon très professionnelle et avec expertise. J’évoquais, tout à l’heure, l’importance du montage des équipes au démarrage des projets. Il est essentiel de travailler dans un environnement où on partage les mêmes ambitions, la même demande de qualité et c’est une exigence que je retrouve dans la démarche de Woodeum.
Le bas carbone…légitime et nécessaire, d’autant plus qu’il tend à devenir obligatoire ?
Oui, on s’est beaucoup focalisé sur le fait de baisser le bilan carbone dans l’usage des bâtiments en faisant moins attention à la façon dont ils étaient construits. Aujourd’hui, à juste titre, il commence à y avoir des réglementations sur la phase de construction pour baisser le bilan carbone d’un bâtiment. Cela correspond à près de la moitié de la facture carbone sur 30 ans de vie d’un bâtiment. Le bois est évidemment une très bonne solution pour baisser cette facture carbone.
Comment avez-vous abordé esthétiquement les projets Woodeum ? Nous pensons, notamment à Tilia ou Althéa à Vélizy …
Chaque projet est une réponse circonstanciée à son environnement et impliquent des esthétiques très différentes. Dans le cas de Tilia, ce petit bâtiment se situe à Vélizy, dans un environnement de bâtiments assez hétérogènes et modernes. On a voulu, dans ce quartier qui était déjà constitué, réaliser un bâtiment qui se démarque par sa rondeur, par sa douceur et aussi par son matériau. On voit beaucoup le bois dans les sous-faces des balcons et dans plusieurs parties du bâtiment. Je trouvais cela intéressant de faire un bâtiment qui se distingue de l’esthétique environnante.
Concernant le projet Althéa, qui se trouve avenue Morane Saulnier, à Vélizy, le projet a été abordé différemment, il a été travaillé à plusieurs architectes : François Leclercq, Dimitri Roussel et moi-même. Dans des ensembles plus grands et des opérations très importantes comme celle-ci, ce qui est intéressant c’est de faire travailler plusieurs architectes qui vont dialoguer, faire des propositions différentes, pour bâtir une ville qui soit vivante et qui ait une esthétique plurielle. Je pense que c’est ainsi que l’on arrive à faire des quartiers neufs qui sont agréables à vivre.
Et les architectes sont-ils habitués à travailler ensemble ?
Oui, c’est devenu naturel pour eux. C’est une demande qui est actuellement très forte. Cela fait quelques années qu’on leur demande de travailler ensemble, en dialogue, d’apporter des complémentarités de vue sur la ville. Par exemple, l’intérêt dans cette opération Woodeum à Vélizy, c’est qu’on a pu travailler ensemble au début de la conception et qu’on a pu instaurer un dialogue au moment de concevoir les bâtiments. Je trouve cela intéressant que l’on ait actuellement, dans la fabrique de la ville, des macros lots qui permettent de travailler ensemble au moment du concours et au moment de l’esquisse. Cela donne des quartiers « riches » architecturalement, avec des bâtiments différents, sans qu’il y ait une seule vision d’architecte. Je pense que c’est vraiment vecteur de qualité dans la ville.
Est-ce que les projets architecturaux doivent être mixtes associant davantage logements, bureaux et commerces ?
Tout à fait. On observe que les bâtiments de bureaux, deviennent de plus en plus confortables, avec des espaces extérieurs. C’est d’ailleurs ce que je propose car je sens que c’est une tendance de fond. On a fait, avec Woodeum – W02, des projets comme Woodwork ou Arboretum à Nanterre, qui ressemblent finalement de plus en plus à des bâtiments de logements parce qu’ils ont tout ce confort autour d’eux. Les bâtiments de logements, d’un autre côté, deviennent de plus en plus comme des bâtiments d’activité : on y travaille, on y fait garder ses enfants etc. J’en viens à me demander s’il ne faudrait pas faire des bâtiments qui soient totalement mixtes, ce qui voudrait dire qu’il faudrait faire évoluer les règles de construction car aujourd’hui elles incitent à calibrer les bâtiments en fonction de leur programme. Faire évoluer ces règles permettrait de faire des bâtiments mixtes et de laisser aux personnes qui les utilisent beaucoup plus de latitude ; c’est très important.
Vous avez été primé, dernièrement, pour l’Arbre Blanc (Montpellier). Que ressent un architecte lorsqu’on qualifie son bâtiment d’un des plus beaux au monde ?
Cela fait plaisir, c’est sûr. C’est un projet qu’on a vraiment créé à 8 mains : Manal Rachdi, Dimitri Roussel, Sou Fujimoto et moi-même. Déjà, il y a une sorte d’originalité à faire ce bâtiment à plusieurs. On a voulu faire un bâtiment de logements qui soit marquant, chose rare car, en général, on considère que les bâtiments de logements doivent faire « profil bas ». Je pense que le but a été atteint puisqu’il a l’air d’avoir une certaine renommée. Il y a un certain enthousiasme autour du bâtiment, en tout cas l’enthousiasme d’un certain nombre d’internautes puisqu’on a reçu un prix qui s’appelle « ArchDaily », fruit du vote de 80 000 personnes. On était « heureusement » étonnés. Pour moi, c’était le symbole que ce but était atteint, qu’on avait réussi à faire un bâtiment de logements qui soit marquant esthétiquement mais aussi dans son usage, car on propose un usage très particulier des terrasses et des balcons dans ce bâtiment.
Dans votre carrière d’architecte, quels sont les projets qui ont pu vous inspirer ?
Il y a des bâtiments que je porte beaucoup dans mon cœur. Ils sont situés en Inde du Nord où j’ai travaillé. En me promenant dans ces régions, j’ai découvert des bâtiments très étonnants : des puits. En Inde, il pleut beaucoup mais pendant très peu de temps. On creusait ces puits, mais on les architecturait, comme des terrasses en escaliers qui descendent dans la terre. Et c’est le lieu où on allait chercher l’eau. Cela créait aussi une climatisation naturelle. Certains d’entre eux datent du 9ème siècle, et je trouve cela très beau d’avoir quelque chose qui soit le plus usuel possible et qui, malgré tout, a une esthétique extrêmement forte. Du fait de faire un puits, on finit par faire une place publique tempérée. Ceci est un bon exemple de ce que je veux réaliser.
Après cette période inédite pour tous…comment appréhendez-vous l’architecture de demain ?
Ce que nous apprend cette période (de confinement), c’est qu’on va devoir, dans un futur très proche voire au présent, s’adapter à l’imprévisible. Les bâtiments doivent pouvoir être très agiles. Ma recommandation est de faire des bâtiments qui ne soient pas bloqués, qui puissent s’adapter rapidement à de nouvelles problématiques. Pour les bureaux, les espaces extérieurs sont très prisés en ce moment. Notre projet commun, WoodWork, à Saint-Denis, favorise les circulations à l’extérieur et à l’intérieur du bâtiment. Cela permet de faire rentrer les gens et de les faire sortir sans se croiser. Les terrasses permettent de faire un certain nombre de réunions sans devoir être enfermés. Au vu de la distanciation demandée actuellement, tous ces espaces extérieurs et ces doublements de circulation sont un grand avantage.
Un grand merci à Nicolas Laisné pour cet échange très enrichissant et instructif et pour sa vision éclairée de l’architecture et de l’immobilier de demain. Nous espérons nos collaborations encore nombreuses à l’avenir pour bâtir, ensemble, l’habitat en bois bas carbone.